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AOP FROMAGÈRES L’heure est à la vigilance

L'AOP Saint-Nectaire a augmenté de 7% sa production de fromage fermier entre 2019 et 2021 (-4,5% en 2022).

En 2022, les ventes de fromages sous appellation d’origine marquent un coup d’arrêt. Pour autant, le contexte inflationniste ne remet pas en cause les démarches de long terme des AOP, dans lesquelles les producteurs s’investissent de plus en plus.

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Les fromages sous appellation d’origine protégée ont le vent en poupe depuis plus de dix ans. Leurs ventes ont progressé de 15 % entre 2011 et 2021. Le petit creux de 2020 (-1 %) sous l’effet de la crise Covid, a été rattrapé en 2021 : +3 %. Les fromages AOP pèsent désormais pour 14 % à 15 % dans les rayons des GMS qui, elles, représentent plus de 60 % de leurs débouchés. « Les chiffres de l’année 2022 ne sont pas encore disponibles, mais on s’attend soit à des ventes comparables à l’année précédente, soit, en moyenne, à un ralentissement de leur croissance », indique Hubert Dubien, président du Conseil national des appellations d’origine laitières (Cnaol). La sécheresse, qui a limité la ressource laitière cet été, est sans doute une explication. L’inflation en est, à coup sûr, une autre. « Nous nous interrogeons sur le niveau de hausses de prix que les consommateurs sont prêts à accepter. »

L’écart de prix avec les fromages non AOP grignoté en 2022

Les prix 2022 des fromages AOP augmentent moins dans les rayons que ceux des fromages conventionnels : + 4,94 % pour les premiers contre + 5,76 % pour les seconds, selon le Cnaol. En 2021, c’était l’inverse avec, respectivement, +2,5 % et +1,9 %. Même s’il reste au bénéfice des AOP, l’année 2022 a grignoté leur différentiel de prix : + 5,87 €/kg, contre +6,20 €/kg en 2021. Précisons que ces évolutions concernent tous les fromages AOP, c’est-à-dire aux laits de vache, chèvre et brebis. Les opérateurs ont adopté une attitude tarifaire prudente pour ne pas détourner les consommateurs de leurs produits. Comme leurs cousins conventionnels et bio, ils n’ont pas non plus été épargnés par les trois rounds de négociations qui se sont déroulés l’an passé. « Nous espérons que les hausses obtenues en 2022 seront durables, déclare Hubert Dubien. En 2023, nous avons besoin qu’elles soient à la hauteur de la hausse de leurs charges. Sinon, cela mettra les entreprises et les producteurs en difficulté. » Avec seulement 8 % des ventes, l’export n’est pas une échappatoire. Les fromages AOP sont liés au marché français. Les premières informations disponibles avant la clôture des négociations, le 28 février, sur les marques nationales de l’ensemble des produits laitiers étaient encourageantes. De quoi rebooster, dans certaines AOP, le prix de base payé aux producteurs. En camembert de Normandie, par exemple, il s’est retrouvé certains mois sous le prix de base conventionnel.

Pour le président du Cnaol, l’heure est à la vigilance, pas à la sonnette d’alarme. « L’inflation et ses conséquences sur le comportement des consommateurs nécessitent d’être attentif et de s’adapter. » Cela passe par plus de communication auprès du grand public, comme celle réalisée à l’occasion du Salon international de l’agriculture à Paris. « Les AOP travaillent sur un pas de temps long. Les difficultés sur le court terme ne remettent pas en cause les démarches construites sur plusieurs décennies. Nous voulons aller plus loin en nous engageant sur des critères de durabilité économique, sociale et environnementale. »

Fourme de Montbrison : le renouveau de la vente à la ferme

Même si, aujourd’hui, les consommateurs pensent plus « prix » et moins « circuits courts et qualité », l’authenticité du local et de la relation au producteur a encore toute sa place. Des AOP et des producteurs en sont convaincus et développent les fromages fermiers et la vente directe. En dix ans, leurs volumes ont progressé de 23 %. Depuis 2020, trois AOP se démarquent. Sans surprise, on trouve le saint-nectaire, qui vend désormais plus de fermier (à 80 % par des affineurs) que de laitier (fabriqué à 100 % par des industriels). Plus surprenants sont la fourme de Montbrison et le camembert de Normandie qui sont quasi partis de zéro. Pour l’AOP ligérienne, il s’agit d’un renouveau. L’installation de quatre producteurs fermiers a fait passer ses ventes directes de 5 tonnes en 2019 à 30 tonnes en 2022. Elles représentent 4,5 % du total des 660 tonnes. Cela paraît anecdotique, mais la petite appellation y croit. « L’ODG de la fourme de Montbrison n’y mettrait pas sinon autant de moyens d’accompagnement », note Hubert Dubien, qui en est également le président. « La fierté que portent les producteurs à leur travail et à leur fromage est un gage de pérennité d’une appellation. »

Camembert de Normandie : les producteurs s’impliquent

En Normandie, c’est aussi l’arrivée de quatre producteurs fermiers depuis 2019 qui permet à l’AOP camembert au lait cru de ne pas redescendre sous les 6 000 tonnes en 2022. Sans eux, l’AOP enregistrerait une baisse de 3 % avec une érosion plus marquée en fin d’année. « Celles des camemberts non AOP soit sont stables, alors qu'habituellement elles enregistrent une baisse de -3% à -4 % chaque année », avance Fabrice Collier, président du Syndicat normand des fabricants de camembert. Il attend les chiffres définitifs de l’année 2022. Face aux multiples choix de camemberts dans les rayons, les consommateurs privilégient aujourd’hui les pasteurisés, a minima deux fois moins chers. Les producteurs fermiers désormais au nombre de six apportent du sang neuf à cette filière engluée dans ses contradictions. Quarante livreurs AOP de Lactalis aussi, mais sans aller jusqu’à la transformation qui demande beaucoup d’énergie. Ils sont adhérents de l’OP AOP Lactalis de Normandie. En mars 2022, ils ont créé la marque locale et équitable « Ô Lait Ô Pré » puis, en septembre, la SAS de commercialisation « Les fermes valeurs normandes ». « Le cahier des charges des producteurs donne une identité et une force au camembert dont les consommateurs normands n’ont pas vraiment conscience. Nous éprouvons le besoin d’aller à leur rencontre et leur expliquer », argue Jean-Philippe Duchange, un des fondateurs de la SAS. Sans rentrer dans les détails, cette dernière achète de 500 à 1 000 camemberts AOP par semaine à la Société fromagère d’Orbec, filiale de Lactalis dans le Calvados. Elle perçoit 65c€ par camembert, dont 35c€ au titre d’un prix équitable et 30c€ pour couvrir les frais de commercialisation.

Saint-nectaire : préserver l’équilibre

En Auvergne, le saint-nectaire (125 Ml, 14 400 t dont 60 % en fermier) sort interrogatif de l’année 2022. « Alors que les ventes de saint-nectaire fermier ont progressé de 2 000 tonnes en dix ans, dont 490 t pour la seule année 2021 grâce notamment à l’afflux de touristes lié au Covid, elles reculent de 4 % à 5 % en 2022 », indique Pierre Wälchli, le président de l’organisme de défense et de gestion du saint-nectaire. Celles de saint-nectaire laitier sont moins impactées : -1 % selon les premiers chiffres disponibles. «Les consommateurs faisant attention au montant de leur caddy, elles profitent de son prix inférieur de 5 €/kg à celui du fermier en sortie de filière. » Malgré ces reculs, l’objectif reste la répercussion de la hausse des charges auprès des clients. « L’AOP a trouvé un équilibre entre les saint-nectaire fermier et laitier qu’elle veut préserver. Les deux doivent progresser en même temps en volume et en valeur. » L’appellation a aussi trouvé un équilibre au niveau du fermier, lui-même, puisque les affineurs réalisent 85 % de ses volumes, soulageant ainsi les producteurs d’une bonne partie de la fabrication fromagère. « Les producteurs fermiers en vente directe sont nos meilleurs ambassadeurs mais leur charge de travail est lourde. » Dans ces fermes comme dans les fromageries, la recherche de main-d’œuvre salariée est devenue une préoccupation, au même titre que le renouvellement des générations qui conditionnera la ressource laitière. Deux sujets partagés par toutes les appellations fromagères françaises.

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